Véhicules interstellaires matriochkas
Le « Peter Pan » des temps modernes

Peinture, menuiserie, écriture : telles sont les passions de René Morel-Chevillet, un artiste de 65 ans habitant à Amphion, à deux pas de la plage.

Enfant de la DDASS, René s’attache à créer un monde à son image, empreint de couleurs et d’optimisme. Ses peintures, vibrantes et enfantines, laissent rarement place au noir, sauf lorsqu’il explore l’infini de l’univers à la recherche d’extraterrestres. Toujours, il s’assure un chemin de retour en dessinant un arc-en-ciel, symbole récurrent dans ses œuvres, « L’arche de l’alliance entre l’homme et Dieu », confie-t-il.

René exprime son état d'esprit à l'adjointe Sylviane Deniau, face à ses toiles.
René exprime son état d'esprit à l'adjointe Sylviane Deniau, face à ses toiles.

Sa foi, profondément ancrée depuis l’enfance, l’a marqué : d’un côté, la crainte de l’enfer, et de l’autre, l’inspiration cosmique que l’on retrouve dans bon nombre de ses créations. Cette fascination pour l’univers s’exprime également à travers ses maquettes en bois : jouets, coffres à jouets, et objets imaginaires évoquent hélicoptères, fusées, avions… Sa spécialité ? Des créations ingénieuses où les objets s’emboîtent les uns dans les autres, rappelant les célèbres matriochkas.

Exposition à la Villa Dollfus Evian (Maison pour tous)
Lundi et vendredi 14h – 18h
Mercredi 9H -12h et 14h – 18h

Ces œuvres uniques ravissent petits et grands, notamment à la Villa Dollfus à Évian, où elles sont exposées jusqu’au 14 février 2025 avec le soutien de Corinne Parnalland, animatrice à l’association « La Passerelle », une véritable « Fée Clochette » pour ce « Peter Pan » d’Amphion qui voyage au travers de son univers.

René le Peter Pan, Sylviane et Corinne, la fée Clochette à qui rien n'échappe.
René le Peter Pan, Sylviane et Corinne, la fée Clochette à qui rien n'échappe.

Pour mieux comprendre ce personnage, rien de tel que de laisser notre « Peter Pan » René s’exprimer lui-même.

Je me souviens que je collectionnais les cuillères à glace, les toutes petites cuillères à glace. J’avais neuf ans. Je me mettais assis par terre et je regardais les fourmis pour oublier, me mettre à part, fabriquer mon monde à moi. Je revois le gros berceau à quatre roues, mes trois cousines penchées au-dessus, un peu comme trois fées.

J’ai aussi un beau souvenir de ma petite communion. J’oubliais souvent mes chaussures à l’école. Parfois, je rentrais à la maison avec une chaussure et une pantoufle. J’aimais apprendre mais je n’ai jamais eu trop de mémoire. J’ai joué dans deux spectacles au Palais des sports de Megève dont « La danse du sabre ».

J’allais en bord de mer avec l’école à Marseille, à Cannes… Je me souviens d’une étape près du Rhône : merveilleux fleuve, moment d’extase. Je me souviens de la différence de climat entre le bord de mer où tout était chaud, beau, sec… et la Haute-Savoie où tout était fraîcheur.

Je me sentais étranger. On se sent étranger quand on ne connaît pas son papa et très peu sa maman. J’ai connu plusieurs changements de famille. Au début, j’ai été placé par la DASS chez une cousine, puis chez une tante, puis dans une famille d’accueil. Avec mon papa et ma maman d’accueil, je faisais les foins et le jardin, je ramassais les betteraves, j’aidais au parc pour les vaches.

Peinture sur bois
Peinture sur bois

A quinze ans, j’ai eu mon premier et seul coup de foudre… pour Agnès. Le souvenir d’une amourette. Qu’en reste-t-il maintenant, à soixante-trois ans ? Des discussions sur tout et rien, des rires aussi… A dix-sept ans, je me demandais ce que j’allais devenir plus tard… Dans vingt ans, dans trente ans.

J’ai commencé à travailler à dix-sept ans et demi en saisons et à faire mes premiers dons : du lait, de l’argent… Pour mon anniversaire, j’apportais des bouteilles de jus de fruits à mes collègues de travail. J’aime donner des coups de main, trouver des solutions.

Avec mon argent de poche, j’ai commencé à acheter des livres de science-fiction et des journaux sur les extraterrestres pour m’évader. Je me suis dit qu’il fallait que j’aime les extraterrestres pour aimer mieux les gens. J’ai commencé aussi à écrire dans mon premier classeur et à faire mes premiers dessins. Les tableaux que j’avais vus dans les petits villages en colonie de vacances m’avaient donné le goût de dessiner et de peindre.

Peinture sur pierre

J’ai eu quelques rencontres qui ont changé ma vie : ma vraie maman lors d’une promenade en ville, un sourire de femme dans un train, une présence harmonieuse au bord d’une route….

J’ai travaillé dans la restauration pendant une trentaine d’années comme commis de cuisine et plongeur. Puis j’ai démissionné. J’ai continué à donner des coups de main à une cousine : couper sa haie, tondre son champ. Je suis rentré dans des associations dont une compagnie de théâtre : des beaux et merveilleux moments qui changent la façon de voir les gens et qui m’ont permis de me dire que je ne suis pas aussi étranger à eux que je pensais.

J’espère avoir apporté des choses avec mes bricolages et mes peintures. Mes écritures sont à revoir… Elles sont plus destinées à des gens d’ailleurs, à des extraterrestres, à des êtres de lumière pour qu’ils se rapprochent des humains.

Au bonheur des mômes...

Dernièrement, j’ai enfin reçu ma nouvelle voiture après quasiment un an à avoir roulé à vélo. A vélo, on est plus près de la Nature, on se sent moins coupable. Je ne prends la voiture que quand j’en ai vraiment besoin ou quand je suis fatigué.

En parlant de choses qui roulent, depuis quelques années, je fabrique des jouets qui sont à la fois des meubles, des créations en bois, souvent sur roulettes. J’avais envie de ressembler au Père Noël… mais pas que pour les enfants… pour tout le monde !

Je continue à rendre à service à mon ancien patron à Megève et à ma cousine à Amphion. Je fais aussi des promenades en groupe avec un partage de gâteaux à la fin de la marche. Je participe à des rencontres artistiques. J’aime faire le faux artiste. J’aime aussi donner à manger aux moineaux, aux poules, aux corbeaux. J’ai besoin de me sentir utile, même à la retraite.

Son atelier, dans une pièce de son appartement

Je remercie les gens qui m’ont aidé sans même m’avoir rencontré, ceux du quotidien et tous les autres. Je remercie les curatelles, les patrons qui m’ont aidé à payer le permis de voiture, les gentilles voisines, mes parents d’accueil qui m’ont aidé à me porter à peu près bien. Merci à ceux qui m’ont aidé à me loger, à me nourrir, qui m’ont guidé, accompagné.

Un arc-en-ciel jusque sur la pierre
Un arc-en-ciel jusque sur la pierre

J’aime regarder les paysages… J’aime voir tomber la neige… J’aime voir les gens en vacances. J’aime regarder les arcs-en-ciel… J’aime faire des dessins et de la poésie avec la Nature, avec les animaux, avec les insectes. Bref, j’aime me faire des souvenirs…

Depuis tout petit, j’ai l’impression qu’un être me suit pour me protéger. J’ai l’impression d’avoir des relations poétiques avec des êtres d’ailleurs mais pas avec ceux d’en bas. Je rêve de participer à une langue universelle. J’aimerais que la Terre devienne un paradis et trouve un chemin d’avenir, de joie, de paix, d’amitié.

J’ai appris à aller vers les autres et je me sens faire partie de la famille des humains. Je ne suis peut-être pas si étranger que ça.

René Morel-Chevillet

Texte écrit en 2022 lors d’un atelier d’écriture organisé par « La Compagnie des gens d’ici » dont le sujet était « Réapparaitre : récit de vie ».

Des maisons matriochkas
Un catamaran aux mille cachettes navigue dans ses murs
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